LES COURTISANES DANS LA PEINTURE

Le riche monde gravitant autour de la prostitution a toujours attiré l'attention des artistes : la possibilité de trouver de faciles acquéreurs, l'occasion d'entrer en relation avec les riches protecteurs et familiers des courtisanes a toujours favorisé cet intérêt.
N'oublions pas que depuis l'antiquité, les artistes s'entourèrent des plus fameuses prostituées comme modèles. On sait que le peintre grec Apelle eut pour modèle Campsaspe, la ,maîtresse d'Alexandre le Grand et aussi Frine, la même Frine qui posa pour le sculpteur Prassitele.
Dans le monde romain, nous avons aussi un illustre exemple: celui de Flora, l'amante de Pompée dont le portrait orne le temple dédié à Castor et Pollux.
Il est normal que les artistes aient recours à ces femmes, célèbres pour leur beauté et certainement disponibles, comme modèles. Il n'y a aucun doute que cette habitude ait été maintenue au fil des temps et adoptée par les peintres vénitiens.
D'ailleurs, les occasions de connaissance réciproque entre peintres et courtisanes ne manquaient pas : il vient à l'esprit l'entourage de Pietro Aretino où Tintoret, Le Titien, Jacopo Sansovino, amis intimes du peintre toscan, se retrouvaient souvent à dîner en compagnie de Caterina Sandella, la courtisane qui avait donné au poète la très aimée fille Adria, en compagnie d'Angela Zaffetta, devenue célèbre malgré elle pour avoir été l'objet d'un viol collectif dans l'œuvre de Lorenzo Venier en représailles d'un refus qu'avait essuyé Lorenzo, en compagnie enfin d'autres courtisanes, dites les "arétines" qui fréquentaient le cercle du poète.
De nombreux portraits, œuvres de peintres vénitiens, sont à l'évidence ceux de courtisanes.
L'un d'eux peint par Jacopo Tintoretto est celui de Caterina Sandella. Un autre de Giovanni Bellini est celui d'une amante de Pietro Bembo, dont on ne sait rien de plus. Un autre encore du Tintoret, aujourd'hui disparu était celui de Veronica Franco, la célèbre courtisane femme de lettres qui dans une lettre le remercie pour ce portrait.
Perdu aussi est le petit médaillon en émail que Veronica offrit au roi de Frande Henri III, en souvenir de leur rencontre durant le séjour à Venise d'Henri III en juillet 1574. Au contraire, un portrait de Veronica par Domenico Tintoretto est encore aujourd'hui visible au musée de Worchester.
On est sur que le portrait de la Dame en vert de Palma le Vieux, exposé au Kunsthistorisches Museum de Vienne est celui d'une courtisane, puisqu'on peut lire dans l'inventaire des œuvres retrouvé chez le peintre : "Retrato de la car.a" (portrait d'une carampana, mot du dialecte vénitien qui désigne une prostituée).
Les trois tableaux qui viennent d'être cités n'ont cependant aucun élément commun qui permette de dégager avec certitude une typologie qui permette de distinguer les portraits des courtisanes de ceux des autres femmes de la société vénitienne.
Les écrivains de l'époque nous font d'ailleurs savoir que les courtisanes faisaient tout ce qui leur était possible pour se fondre dans le milieu où elles évoluaient, s'habillant et se comportant exactement comme les patriciennes. Les efforts de l'Etat pour les obliger à se vêtir de manière distincte, tentant par exemple de leur imposer le port d'habits jaunes, restèrent pratiquement vains.
Cependant, en observant attentivement ces tableaux, quelques indications émergent. Dans le tableau de Jacopo Tintoretto, Caterina Sandella porte un habit jaune, ouvert sur un ample décolleté laissant entrevoir le sein que couvre partiellement un voile. On peut penser, sans en être certain, que la couleur jaune n'est pas ici le fait du hasard.
Quelques années auparavant Le Titien avait fait le portrait de Laura Dianti, maîtresse officielle d'Alfonso d'Este depuis 1519, revêtue d'un très élégant habit bleu avec une légère écharpe jaune (presque un voile) qui faisant le tour du cou descendait de l'épaule droite pour venir couvrir partiellement l'ample décolleté de la chemise laissée négligemment entr'ouverte.
Les courtisanes du 16ème siècle jouissaient d'une considération qu'on a aujourd'hui du mal à imaginer : elles appartenaient à la société la plus en vue. La très célèbre Béatrice de Ferrare ne se déplaçaient qu'accompagnée de princes ou d'aristocrates romains. Veronica Franco était reçu dans le cercle du poète Domenico Venier ; elle fut la maîtresse d'Henri III et elle se permit de dédiée son œuvre "Terze Rime" à Guglielmo Gonzaga, duc de Mantoue. A cette époque, personne n'avait honte d'entretenir une amitié avec une courtisane.
Dans le portrait aujourd'hui à Worchester de Veronica, Domenico Tintoretto ne lui fait pas porter la couleur jaune. Cependant, deux éléments nous suggère qu'il s'agit bien du portrait d'une courtisane : le riche habit de Veronica est complété par un fil de perles autour du cou et une chaîne de pierres précieuses traverse diagonalement sa poitrine, attribut que l'on retrouve dans de nombreux portraits de Vénus, la déesse de l'amour. La loi interdisait aux prostituées les port des bijoux, mais on sait que cette loi n'était en rien respectée.
Le sein a moitié dénudé est un élément iconographique assez ambigu. Certains le considèrent comme un élément de l'amour conjugal, lié à la fertilité. D'autres y voient au contraire le signe d'un amour charnel. Cela explique que la célèbre Laura de Giorgione, au musée de Vienne soit vue par les uns comme une allégorie du mariage et par d'autres comme le portrait d'une courtisane poétesse.
Aucun doute n'est plus possible quand on regarde l'éclatant portrait de la dame en celours rouge de Paris Bordon qui se trouve au musée de Lugano (collection Thyssen Bornemisza). La dame a le sein découvert, elle tient avec une petite laisse d'or une guenon, symbole de la lascivité ; dans la main gauche, elle tient deux roses tirées d'une coupe posée sur une petite table, coupe sur laquelle on voit la figure d'un satyre. Les roses sont des roses sauvages qui sont le symbole des faveurs sexuelles.
Ce tableau de Bordon à Lugano est celui où le sens apparaît de façon la plus évidente, mais d'autres tableaux de Bordon se rapportent eux aussi au même thème : la Flora du musée du Louvre où la dame sein découvert tient aussi une rose dans la main, tandis qu'un long collier de perles pare son cou, la dame en vert du musée de Vienne toujours au sein découvert et enfin un autre portrait à la National Gallery d'Edingurgh.
Dans ce dernier, la dame pose à demi étendue sur un lit à baldaquin ; elle se soutient le sein avec la main et s'offre ainsi à qui regarde le tableau.
C'est un geste qui réapparaît dans deux tableaux de Palma le Vieux à Berlin : Dame devant un rameau de vigne, avec un châle jaune qui lui tombe sur l'épaule et la majestueuse Dame blonde au sein découvert.
L'attitude est toujours la même dans un autre tableau de Palma de la galerie Poldo Pezzoli à Milan où la femme porte un habit rouge (couleur portée également par les prostituées, comme le rapportent beaucoup de voyageurs étrangers dans leurs récits), ouvert sur le devant avec une chemise blanche délacée qui laisse apparaître les seins.
Citons encore quelques portraits de courtisanes du 16ème siècle : la jeune femme de l'Ermitage à Leningrad et la dame à la fourrure du musée de Vienne, deux chefs d'œuvre du Titien ; le portrait de la dame qui se découvre le sein de Domenico Tintoretto au Prado de Madrid ; la courtisane au miroir de Bernardino Licinio d'une collection privée en Lombardie ; la courtisane vénitienne attribuée au Titien à la Nationa Gallery de Washington, qui a des fleurs dans les cheveux.
Deux autres portraits peuvent aussi rentrer dans cette catégorie : la joueuse de luth de Parrasio Micheli à Budapest où la dame apparaît seins nus, en train de jouer, tandis qu'un petit ange tient la partition et un autre portrait toujours de Micheli à la fondation de Houston.
Il est facile d'imaginer qu'il s'agit de courtisanes se divertissant à jouer d'un instrument.
La joueuse de viole de gambe de Bernardo Strozzi exposée à Dresde montre aussi le sein découvert. Elle a été récemment identifiée comme le portrait de Barbara Strozzi , musicienne et probablement courtisane.
On rencontre aussi quelques portraits de groupes comme les Trois Sœurs de Palma le Vieux à Dresde qui apparaissent sur un fond de roses sauvages, fleurs chères à Venus.De Giovanni Cariani, il existe une toile avec gentilshommes et courtisanes dans une collection privée de Bergame. On y a vu le portrait de sept membres de la famille Albani ; on y a vu aussi la représentation de fiançailles mais il est plus probable qu'il s'agisse simplement de trois courtisanes et leurs clients sous les yeux d'une entremetteuse. Les femmes sont luxueusement vêtues avec d'élégantes sous vestes aux manches amples et portent de riches bijoux. Une d'elles tient un miroir, symbole de la vanité et une fleur au décolleté. En outre, au premier plan, on peut voir un écureuil, symbole de parcimonie et de l'avidité, un signal qui ne laisse que peu de doute sur l'interprétation à donner au tableau.
Cette représentation d'un groupe de courtisanes est rare dans la peinture de l'époque, contrairement à celle de la rencontre d'une femme seule avec son client.
Ce type de scène, fréquent est habituellement connue sous le nom de " séduction " : un exemple est la tableau de Giovanni Cariani à l'Ermitage où un vieux s'approche d'une jeune femme richement vêtue qui pose sa main sur une sphère sur la table du premier plan tandis que des pièces sortent d'un sac à côté de l'homme. Sachant que la sphère es le symbole de la variabilité, le sens est évident.
On rencontre le même thème dans une œuvre de Paris Bordon à la pinacothèque de Munich, intitulée le Joaillier. Un homme barbu aux épaules d'une femme vêtue d'un habit au décolleté rond et aux manches jaunes et vertes lui présentent divers bijoux. Comme le montrent les radiographies aux quelles le tableau a été soumis e 1970, il n'y avait dans une première version du tableau que sur le rebord de la fenêtre devant les personnages un collier de pêrles et les autres bijoux n'ont donc été ajoutés que plus tard. Le premier sens du tableau apparaît donc : l'homme offrait un collier à la dame pour vaincre ses réticences.
Toujours sur le thème de la séduction une femme au clavecin entre un homme et une vieille de Bernardino Licinio est exposé à Hampton Court. L'homme est en train d'offrir de l'argent à la femme sous l'œil de l'entremetteuse.
Moins explicite le tableau Les Amants de l'école de Giorgione conservé à la Caca Buonarroti à Florence : observez l'abandon de la femme dans les bras de l'homme barbu qui soutient dans sa main son sein nu.
Une scène surprenant de réalisme nous est offerte par Palma le Jeune dans les errements du fils prodigue, à l'Académie de Venise, une variation sur le thème de l'évangéliste Lucas, un repas entre le jeune homme et deux femmes habillées comme les courtisanes de l'époque.
Ce type de scène est rarement représentée par les peintres vénitiens, contrairement aux flamands.
mérite aussi d'être cité un tableau de Lodovico Pozzoserrato (et ce n'est pas un hasard si le peintre a des origines flamandes), où l'on voit courtisanes et gentilshommes . Un homme tient dans ses bras une femme assise à ses côtés, tandis que d'autres femmes élégamment vêtues les entourent dans un grand salon et que l'une est au clavecin.
La musique est u thème que l'on retrouve dans un autre tableau de Pozzoserrato, le concert dans une villa, conservé au musée de Trévise. On imagine facilement que le peintre a voulu rendre l'atmosphère de l'un des ces fêtes qui se donnaient dans les palais, auxquelles participaient des courtisanes.
Le même sujet dans un tableau de Benedetto Caliari à Bergame , la Villa vénitienne.
A côté des scènes de séduction, on peut ranger les scènes d'initiation amoureuse ou mieux encore d'initiation à la profession.
Comme dans un tableau attribué à Palma le Vieux et conservé à San Diego : Jeune femme avec une plus ancienne. Au premier plan la femme au décolleté profond a dans les cheveus des fleurs (peut-être de violettes). A ses épaules, la plus âgée semble la pousser pour lui donner courage, ce qui laisse penser que la jeune femme se montre plutôt rétive à rendtrer dans la voie de la prostitution.
Une interprétation plus ou moins semblable peut être donnée au tableau de Paris Bordon : Jeune femme au miroir accompagnée d'une vieille et d'une autre jeune, à la National Gallery d'Edinbourgh. On a aussi prétendu que le tableau pouvait constituer une allégorie des trois âges de la vie.
Jusqu'ici, naturellement sans avoir la prétention d'avoir fait une étude exhaustive, nous avons examiné la représentation du monde de la prostitution dans la peinture vénitienne du 16ème siècle.
Mais on peut avec certitude mettre en rapport avec cette peinture, les scènes bibliques et les scènes mythologiques.
En ce qui concerne les scènes mythologiques, nous trouvons dans la littérature des témoignages de la représentation des courtisanes vénitiennes sous les traits de déesses ou d'héroïnes du monde classique.
Dans une lettre, Girolamo Parabosco complimente le peintre Parrasio Micheli pour le portrait de son amante sous les traits de Lucrèce.
Le risque est cependant de généraliser et de considérer toutes les œuvres où apparaissent des figures mythologiques comme les portraits de courtisanes, ce qui évidemment n'est pas.
Hans Tietze fut le premier à soutenir que tous les tableaux du Titien représentant Flora étaient en réalité des portraits de courtisanes, thèse qui contrastait avec celle qui était en vigueur à l'époque et où l'on voyait dans Flora le symbole du mariage (parce que vêtue d'un hypothétique habit nuptial).
Boccace raconte les aventures de Flora, courtisane, maîtresse de pompée dans un de ses ouvrages. A sa mort, celle-ci légua ses biens à l'Etat et pour la remercier, le Sénat institua une fête appelée Floralia, fête où les courtisanes défilaient nues ou à moitié nues dans les rues de la ville.
On en est donc venu à confondre en une figure unique deux personnages distincts : la Flora grecque, nymphe violée puis épousé par le dieu Zéphyr, élevée ensuite au rang de déesse du p printemps et des fleurs et la Flora prostituée romaine.
C'est la raison pour laquelle la Flora du Titien au musée des Offices offre avec la main droite des fleurs, mais par le même geste semble s'offrir elle même.
La Flora de palma le Vieux à la National Gallery de Londres montre, comme une courtisane, le sein qui émerge de sa chemise ouverte.
La Flora de Domenico Tintoretto au Prado de Madrid tient des roses sauvages, symbole de l'amour charnel, dans la main droite tandis que des feuilles de laurier pénètrent dans son profond décolleté. En outre, elle porte, boucles d'oreille, collier de perles et autres bijoux.
Aucun doute que les contemporains ne pouvaient voir dans le tableau que la figure d'une courtisane.
Comme dans le cas de Flora, Leonardo fut le premier a traité le thème de Leda et du cygne. Le tableau est aujourd'hui perdu mais connu à travers les nombreuses copies faites par ses élèves. Le thème n'eut guère de succès dans le milieu vénitien, peut-être à cause même de l'érotisme explicite de la scène (acte sexuel entre une femme et un cygne).
Cependant Paolo Veronese traite le thème dans un tableau détruit à Dresde pendant la deuxième guerre mondiale, mais dont il existe une réplique à Ajaccio. Contrairement à Leonardo qui faisait se dérouler la scène sur les bords de l'Euphrate, Veronese peint les deux protagonistes sur un confortable lit. Leda est vêtue seulement de riches bijoux, semblables à ceux que portaient les courtisanes alors.
Même décor pour le même sujet traité par Titien au palais Pitti. La femme nue porte de plus une couronne pour rappeler que Leda était la fille d'un roi. Elle attend la visite du divin partenaire étendue mollement sur un lit. Au contraire dans le tableau du Tintoret au musée des Offices, il y a de plus une autre femme, à l'évidence une entremetteuse.
Autre accouplement mythologique qui se prête bien à représenter de manière allégorique les rapports vénaux : celui de Jupiter et Danae.
Danae a longtemps été le symbole de la femme dont l'amour s'achète. En effet, selon la légende, Jupiter réussit à aimer cette princesse seulement en se transformant en une pluie d'or. Elle était retenue prisonnière dans une tour par une vieille nourrice, selon la volonté de son père, pour éviter qu'elle mette au monde un enfant qui selon la prophétie aurait tué son grand-père.
Titien a laissé plusieurs versions du tableau. Dans le premier aujourd'hui à Naples, la nourrice n'apparaît pas et est remplacée par un angelot. Dans le second, au Prado, la nourrice se précipite pour recueillir l'argent dans son tablier. Dans la troisième version, elle utilise à cet effet un vase. Dans les trois œuvres, Danae est parée de bijoux ; dans la version du Prado elle caresse un petit chien qui dort sur le lit. A noter cependant qu'il n'y a dans les tableaux ni bijoux exposés avec ostentation, ni roses sauvages, ni autres fleurs et que le chien est le symbole de la fidélité conjugale. Le second tableau a été exécuté pour Philippe II, personnage peu incliner aux concessions érotiques.
Au contraire, la Danae de Jacopo Tintoretto, au musée des Beaux Arts de Lyon fait référence de manière explicite au monde de la prostitution. Comme la Leda de Veronese, elle est installée dans une pièce luxueusement meublée. Elle occupe seulement la partie gauche du tableau ; les pièces d'or sont sur sa cuisse gauche, transformation de la mythique pluie d'or
en laquelle s'était transformé Jupiter pour s'unir à elle. De la main droite elle tend une pièce d'or à la nourrice, qui occupe la partie droite. Celle-ci n'est pas une vieille femme, mais une jeune femme au décolleté profond dont les traits rappellent ceux sous lesquels Domenico Tintoretto a peint Veronica Franco.
Si Danae est la figure de la femme que l'on peur posséder avec de l'argent, ce n'est évidemment pas le cas de la nymphe Io, qui fit tout ce qu'elle put - sans réussir - pour échapper aux volontés de Jupiter. Pourtant, dans la toile de Paris Bordon de Goteborg, un voile jaune est posé sur le bras de la jeune femme, détail totalement superflu au tableau mais sans doute là pour laisser au spectateur le soin de voir autre chose qu'un thème mythologique.
Si les aventures de Jupiter se prêtent bien pour représenter en termes allégoriques des situations liées au monde des courtisanes, la figure de Vénus, déesse de l'amour, s'y prête encore davantage. D'autant plus que dans la littérature nordique (et aussi la littérature italienne), on trouve des écrits satiriques qui comparent Vénus à une prostituée. Cette référence ne pouvait être qu'appréciée par les courtisanes. Dans le tableau de Palma le Vieux, Vénus avec Cupidon dans un paysage, Cupidon se prépare à offrir à la déesse une flèche tirée d'un carquois entouré d'un ruban jaune.
Le portrait de la Vénus d'Urbino du Titien aux Offices est celui d'une courtisane dans son alcôve. Elle tient dans la main gauche un bouquet de roses sauvages. Plus explicite encore, la Vénus de Lambert Sustris à Amsterdam, variante de la Vénus du Titien. Des éléments ont été ajoutés au fond de la toile : une joueuse de clavecin et deux servantes occupées à ranger des vêtements dans une malle (savoir jouer du luth ou du clavecin était un des dons utiles aux courtisanes de l'époque).
Deux Vénus de Jacopo Tintoretto méritent d'être signalées :la Vénus au miroir du musée Paul Getty à Malibu où devant elle nue, il y a une servante agenouillée qui l'aide. La présence d'une servante est en effet rare là où il y a habituellement des angelots. D'autre part la scène pourrait se passer dans une maison vénitienne avec des vitres à "plombs" aux fenêtres. L'autre toile est celle de Vénus, Vulcain et Mars à la pinacothèque de Munich. L'histoire raconte que Vulcain sachant que son épouse le trahissait avec Mars profita d'une de leur rencontre pour les capturer avec un filet. Mais le mythe est ici complètement revisité par Tintoretto qui veut en souligner les aspects humoristiques.
Vulcain vient inspecter la couche de Vénus, tandis que Mars, l'amant reconnaissable à son casque guerrier, s'est caché sous la table, et qu'Amour feint de dormir. Mais le chien de Vénus trahit Mars en aboyant après lui.
Les représentations de Vénus, dans la peinture vénitienne du 16ème siècle sont nombreuses. Il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que dans des tableaux comme Vénus et Mars à Turin de Véronèse ou Vénus attendant Mars de Lambert Sustris au Louvre, il y ait une atmosphère d'érotisme évidemment liée au monde des courtisanes et seulement à ce monde, et non au monde familial ou matrimonial, car à l'époque la sphère érotico-amoureuse ne concerne que le monde des femmes libres et des prostituées. Les écrits d'alors nous montrent bien que la femme mariée, la veuve, ou tout simplement la non-prostituée vit retirée dans l'ombre. Tout confirme qu'à part les prostituées, les femmes n'avaient pas le droit d'apparaître ; elles étaient limitées à leur rôle d'épouses et de mères. Quand une scène d'amour charnel est représentée, elle ne peut l'être qu'entre un homme et une femme libre qui fait payer ses charmes.
Ainsi dans les " Modi ", série de 16 gravures réalisées par Marcantonio Raimondi sur des dessins de Giulio Romano, publiée en 1524 et republiée à Venise en 1527 pour illustrer les sonnets de Pietro Aretino, les protagonistes sont bien sur des prostituées, dont le nom est d'ailleurs explicitement mentionné dans les sonnets accompagnateurs.
Diane et ses nymphes de sa cour ne sont pas des personnages que l'on peut soupçonner d'avoir fait commerce de leur corps. Au contraire, on peut les penser plus portées à l'amour saphique. Mais la fantaisie des peintres n'a pas manqué cependant d'utiliser ces divinités des bois et de la chasse dans des représentations allusives au monde des courtisanes.
Dans des tableaux comme Actéon qui découvre Diane et les nymphes, Diane et Callisto les scènes ne sont qu'une version mythologique des bains publics, lieux bien connus de la prostitution.
Il y a d'autres tableaux, cette fois tirés de scènes des Saintes Ecritures, qui montrent des femmes au bain. En particulier, ceux de Susanne et les deux vieillards et ceux de Bethsabée.
L'histoire de Susanne, tirée des Evangiles apocryphes, est assez compliquée et les peintres du Moyen Age ont préféré représenté le moment où Daniel réussit à établir le faux témoignage des deux vieillards, qui pour se venger d'avoir été repoussé avaient accusé Susanne d'adultère en provoquant ainsi la condamnation à mort. Les peintres vénitiens du 16ème ont au contraire représenter le moment initial de l'aventure, moment où l'on voit Susanne espionnée par les deux vieux. Le pourquoi de ce choix voyeuriste est clair : l'occasion de représenter avec un alibi évangélique, le sujet préféré des commanditaires de tableau, un nu féminin aux formes opulentes. Quelques versions de Jacopo Tintoretto dégagent on fort érotisme : celle du Prado où un des vieillards caressent de sa main le sein de Susanne complètement nu, celle de Vienne où Susanne à peine sortie de l'eau commence à s'essuyer tout en se regardant dans un miroir posé sur une haie de roses. Dans deux autres versions (au Louvre e à Munich), une servante aide Susanne ce qui ne fait qu'accentuer le nudité de l'une à côté de l'autre qui est vêtue.
L'histoire de Bethsabée est elle aussi racontée de manière différentes par les artistes du Moyen Age et ceux du 16ème : les uns la représentent en compagnie de Uriah, tandis qu'elle se lave les pieds à la fontaine, les autres la peignent nue se faisant aider au bain par ses servantes. Dans le tableau de Palma le Jeune à l'Académie San Luca à Rome, la scène se passe dans le jardin d'une maison et l'on voit David se pencher au balcon d'une maison voisine pour mieux voir. Dans un tableau de Pietro Liberi à Munich, elle est dans une chambre dans laquelle David lui même pénètre.
L'histoire de Joseph et de la femme de Putiphar (La femme de Putiphar devient amoureuse du jeune Joseph, serviteur de Putiphar, qui, fidèle à son maître et à son bienfaiteur, rejette les empressements de cette femme) est aussi le prétexte pour représenter une courtisane dans son alcôve. Même si au delà, c'est aussi d'une certaine façon le refus du vice, et si l'on peut y voir donc des intentions moralisatrices.
Dans la tentation de Saint-Antoine de l'église San Trovaso à Venise, Saint Antoine est attiré par deux prostitués au sein découvert et au collier de perles.
Ce genre de tableaux rares à la renaissance, se développe à la fin du 17ème siècle, peut-être à cause des changements dus au Concile de Trente, ou des événements tragiques qui avaient touchés la cité, comme les épidémies de peste, vues souvent comme punition divine.

C'est peut-être pour cela, que nous trouvons fréquemment à partir de cette époque, des tableaux qui représentent Marie-Madeleine, la sainte élevée au rang de protectrice des prostituées parce que, elle-même exerçait le métier avant de se convertir. Ses représentations sont bien différentes dans l'esprit de celles données précédemment par le Titien ou Palma le Vieux. Elle apparaît maintenant presque nue à l'intérieur d'une chambre richement décorée (Domenico Tintoretto au Prado) ou d'un paysage (Palma le Jeune à Bergame), ce qui autorise à croire qu'il s'agit de tableaux à caractère votif, exécutés pour célébrer la conversion ou la volonté de conversion d'une prostituée. On peut attribuer le même sens au tableau de Pietro Vecchia aujourd'hui à l'Accademia où l'on peut voir une femme assise sur un trône, entourée de saints, face à un angle qui lui montre un crâne, symbole de la caducité des choses humaines. Il est aisé de reconnaître dans cette femme richement vêtue d'un habit jaune et parée de bijoux une prostituée. La même remarque peut être faite pour différents tableaux de Domenico Fetti au Louvre, à l'Accademia et au musée d'Innsbruck, appelés "méditation", où apparaît une femme élégamment vêtue agenouillée, qui médite sur un crâne.
Il est intéressant de noter aussi comment au 18ème siècle, bien que la condition de femme ait changé et qu'elle ne soit plus considérée comme objet d'attirance sexuelle, ce modèle iconographique fut maintenu. Regardez le portrait de la jeune femme au perroquet de Giambattista Tiepolo qui réunit tous les éléments de la courtisane : la dame vêtue de jaune, les roses dans les cheveux, le sein découvert et le collier de perles. Le perroquet signifie lui la luxure.
Si les peintres du 18ème siècle reprennent les thèmes chers aux peintres de la renaissance, ils le font dans un esprit tout différent. La fréquentation des prostituées était devenue une chose à ne pas trop montré.
Dans les tableaux de Guardi et de Longhi qui représentent les salons de jeux, on voit souvent un serviteur qui fournit à un couple les clés d'une chambre. Souvent aussi un personnage tient un fuseau ou une quenouille, dont nous n'avons pas l'exacte explication. Ces éléments apparaissent dans des tableaux de Pietro Lognhi conservés à la fondation Querini : la Fileuse, les Fileuses. Pourtant il s'agit de fileuses assez peu professionnelles, plus attentives à porter l'attention sur elles qu'à filer. La fileuse du premier tableau a le sein gauche qui émerge légèrement de son corsage délacée. Celles du second tableau sont vêtues bien trop à la mode pour être de simples ouvrières. L'expression de surprise et d'admiration du misérable gardien de vaches nous en dit long.
Deux autres fileuses dans un autre tableau de Longhi à Ca Rezzonico. uCelle du premier plan regarde fixement dans les yeux le spectateur, l'autre porte son attention sur un jeune homme avec un chapeau assis à la table de ce qui pourrait être une auberge. Une vieille s'occupe du feu, c'est bien évidemment l'entremetteuse.
Intéressons nous à trois autres toiles de Longhi conservées aussi à Ca Rezzonico : La polenta, Les lavandières et Le joyeux couple. Les mêmes personnages apparaissent : la vieille qui tient la quenouille dans Les lavandières, boit et discute avec ce qui pourrait bien être un éventuel client dans Le joyeux couple. On ne peut imaginer que ce soit le fait du hasard. Ne serait-pas la narration d'une histoire : l'initiation à la profession d'une jeune paysanne dans les Lavandières, son entrée dans le monde de la prostitution dans Le joyeux couple. Ayant réussi, elle a pris son indépendance dans Les fileuses où l'entremetteuse est reléguée au second plan.
Toujours de Pietro Longhi, la Visite au Lord (New York) et La séduction (Milan) reprennent des scènes de rencontre entre courtisanes et clients.
Enfin, un autre curieux document conservé à la fondation Querini : le Cour des courtisanes sur le rio de la Sensa de Gabriele Bella sur lequel on voit des jeunes femmes, seules ou en groupe, glissant sur le canal en gondoles pour se faire admirer par les hommes amassés sur les rives et les ponts à l'occasion de la f^te de l'Ascension. Au 18ème siècle le quartier de Cannaregio était devenu le quartier de Venise et même à l'occasion d'une fête religieuse, les prostituées avaient le beau rôle.